
Licenciement et avertissements: attention à la règle non bis in idem
Publié le :
12/04/2010
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2010
Un employeur, informé de plusieurs faits fautifs, ne peut sanctionner par un avertissement certains faits, avant de prononcer un licenciement pour les autres (Cass. Soc., 16 mars 2010, n° 08-43.057).Avertir ... mais pas trop: chambre sociale de la cour de cassation, 16 mars 2010
Le droit disciplinaire en matière sociale est parsemé d’embûches. Pour nous en convaincre au besoin, la Cour de cassation a rendu un arrêt le 16 mars 2010, qui donne un éclairage particulier à la règle non bis in idem.
En effet, il est connu que des faits déjà sanctionnés, ne peuvent faire l’objet d’une seconde sanction, l’employeur ayant alors épuisé son pouvoir disciplinaire par la première sanction prononcée : la règle non bis in idem interdit à l’employeur de sanctionner deux fois les mêmes faits.
Ainsi, une faute déjà sanctionnée par un avertissement, un blâme ou une mise à pied disciplinaire, ne peut fonder un licenciement, lequel serait alors dépourvu de cause réelle et sérieuse. Certains employeurs ont appris cette règle à leurs dépens, en pensant pouvoir licencier, après avoir précédemment infligé une mise à pied disciplinaire suite à la découverte de faits fautifs (une mise à pied conservatoire est tout à fait possible).
Il ne peut en aller autrement que lorsque le même fait fautif s’est reproduit ou poursuivi, l’employeur pouvant alors se prévaloir tant du comportement fautif actuel que des faits précédemment sanctionnés, par exemple par des avertissements, le tout caractérisant une cause suffisante de licenciement (une cause réelle et sérieuse) (Cass. Soc. 22 mars 2006, n° 03-44362).
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation ici commenté, l’employeur, un établissement de retraite, n’avait pas enfreint la règle non bis in idem : il semble au contraire avoir pris soin de ne sanctionner par un avertissement notifié le 17 décembre 2004, que certains faits précis reprochés à la directrice, comme ayant été commis à l’occasion d’un entretien du 3 décembre.
L’employeur pensait donc pouvoir légitimement prononcer le licenciement le 12 janvier suivant, pour des faits distincts, et non prescrits, consistant notamment pour la directrice à s’être attribué indûment des augmentations de salaires pendant plusieurs mois.
La Cour d’appel de LYON ne l’a pas entendu de la sorte, considérant le licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse : selon les juges du fond, il appartenait à l’employeur d’invoquer un fait fautif nouveau, survenu ou porté à sa connaissance après la notification de l’avertissement du 17 décembre.
La Cour de cassation confirme la décision de la Cour d’appel en adoptant le raisonnement suivant : à partir du moment où l’employeur était informé de l’ensemble des faits reprochés, et où il avait choisi de notifier un avertissement seulement pour certains d’entre eux, il avait épuisé son pouvoir disciplinaire, y compris pour les autres faits.
Cette décision est sévère à l’égard de l’employeur, sauf à considérer qu’il était établi que l’établissement de santé avait délibérément choisi de ne sanctionner l’ensemble des faits reprochés que par un simple avertissement ; or cela ne ressort pas de l’arrêt rendu par la Cour de cassation.
Les faits invoqués au soutien du licenciement n’étaient pas prescrits, n’avaient pas été sanctionnés par l’avertissement, et on comprend mal pourquoi ils ne pouvaient l’être ensuite par un licenciement, sauf à considérer qu’ils n’étaient pas suffisamment sérieux.
Les juges ont donc retenu une interprétation à première vue favorable au salarié de l’épuisement du pouvoir disciplinaire de l’employeur : si l’employeur ne peut sanctionner deux fois les mêmes faits, il ne peut pas non plus sanctionner avec indulgence certains faits - par un avertissement -, avant de prononcer plus tard une sanction plus lourde - telle qu’un licenciement -, pour d’autres faits déjà connus de lui.
Pourtant, cette décision de la Cour de cassation présente un effet pervers évident pour les salariés eux-mêmes : l’employeur est ici incité à ne pas « trop réfléchir », lorsqu’il a connaissance de plusieurs faits fautifs réels et sérieux, et à prononcer immédiatement un licenciement pour l’ensemble des faits, plutôt que de sanctionner d’abord les faits les moins graves par un simple avertissement.
En souhaitant accorder une « dernière chance » à un salarié sanctionné une première fois pour les faits les moins graves, mais ayant commis des faits plus graves pouvant justifier une sanction plus lourde, l’employeur risquerait fort « d’épuiser son pouvoir disciplinaire ».
En outre, il prendrait le risque de laisser prescrire les faits les plus graves, aucun fait fautif ne pouvant « à lui seul » faire l’objet d’une sanction, lorsque la procédure disciplinaire est engagée plus deux mois après le jour où l’employeur a eu connaissance de ces faits (article L. 1332-4 du Code du travail).
Avant de prononcer une sanction, même mineure, il faut donc bien réfléchir, et être bien informé des arcanes de la jurisprudence en la matière.
Prendre connaissance des faits de la décision commentée.
L'auteur de l'article:Laurent BABIN, avocat à Bordeaux.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © cyrano #1253667
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