Faute dolosive du maître de l'ouvrage et refus de garantie de l'assureur
Publié le :
03/12/2024
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Cass, 3ème civ, 21 novembre 2024, n°23-15.803
L’article L 113-1 du code des assurances dispose que « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. »
Très longtemps, la jurisprudence a conditionné l’établissement d’une faute dolosive à la preuve de la violation d’une obligation contractuelle « par dissimulation ou par fraude. » (Cass, 3ème civ, 29 mars 2011, n°08-12.703 ; Cass, 3ème civ, 5 décembre 2019, n°18-19.476).
« Le constructeur est, nonobstant la forclusion décennale, contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré, même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles. » (Cass, 3ème civ, 27 mars 2013, n°12-13.840).
Déjà, la notion de faute dolosive impliquait l’existence d’un élément matériel (la dissimulation ou la fraude) et d’un élément moral (la conscience du risque de survenance d’un sinistre).
Sur ce, le manquement délibéré à une obligation contractuelle, par dissimulation ou par fraude, avec la conscience établie qu’un désordre allait survenir, constituait une faute dolosive ayant pour effet de retirer au contrat d’assurance son caractère aléatoire (Cass, 3ème civ, 7 octobre 2008, n°07-17.769).
La Haute juridiction a fait évoluer sa jurisprudence par un arrêt en date du 12 juillet 2018 (Cass, 3ème civ, 12 juillet 2018, n°17-20.627, Publié au bulletin), en ne faisant plus référence qu’à la nécessité d’une « faute délibérée et consciente. »
La deuxième et la troisième Chambre civile s’accorderont sur cette définition par deux arrêts en date du 10 novembre 2021 (Cass, 2ème civ, 10 novembre 2021, n°19-12-659 et 19-12.660) :
« La faute dolosive, autonome de la faute intentionnelle, justifiant l’exclusion de la garantie de l’assureur dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire, suppose un acte délibéré de l’assuré qui ne pouvait ignorer qu’il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre. »
Depuis lors, la jurisprudence de la Cour de cassation n’a eu de cesse de rappeler que la faute dolosive doit s’entendre comme un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables (Cass, 2ème civ, 20 janvier 2022, n°20-13.245, Publié au bulletin ; Cass, 3ème civ, 30 mars 2023, n°21-21.084, Publié au bulletin).
L’arrêt rendu le 21 novembre 2024 par la Haute juridiction, au sujet du manquement fautif du maître de l’ouvrage, constructeur vendeur, s’inscrit donc dans cette même veine, au terme d’une motivation qui mérite d’être rappelée intégralement (Cass, 3ème civ, 21 novembre 2024, n°23-15.803) :
« La cour d’appel a constaté d’une part, que le pignon de grande hauteur de la construction nouvelle dépassait très largement les orifices extérieurs des trois boisseaux de cheminée de la maison de M. et Mme (R), d’autre part, que, dans son rapport d’expertise préventive, l’expert avait rappelé l’attention du promoteur sur la nécessité de rehausser les conduits de cheminée de la maison voisine, en soulignant que la mise en place d’une rehausse sur une souche de cheminée était une technique bien connue et maîtrisée par des entreprises qualifiées, et qu’aucun professionnel de la construction ne pouvait ignorer le litige à naître né de l’absence de modification de la hauteur de celle-ci.
Elle a relevé que le promoteur, dont elle a souverainement retenu qu’il avait eu pleinement connaissance de la nécessité de ces travaux de rehaussement dès le dépôt de ce rapport, avait néanmoins livré l’immeuble sans résoudre cette difficulté, s’étant borné, cinq ans plus tard, à proposer, durant les opérations d’expertise, deux solutions palliatives, techniquement et juridiquement non réalisables.
Ayant ainsi fait ressortir que le refus délibéré du promoteur de faire réaliser les travaux préconisés, avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, caractérisait sa faute dolosive, elle en a exactement déduit, sans retenir la faute intentionnelle ni être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, qu’il ne pouvait prétendre au bénéfice de son contrat d’assurance.
La cour d’appel a ainsi légalement justifié sa décision. »
Le fondement contractuel de la faute dolosive implique donc que le juge caractérise une faute au regard de la volonté délibérée et consciente du constructeur de méconnaître la norme.
Encore une fois, la faute dolosive, exclusive de toute garantie d’assurance du fait de la dissolution de l’aléa, se caractérise par un élément matériel (le refus délibéré de réaliser des travaux nécessaires) et un élément moral (la conscience du caractère inévitable des conséquences dommageables de cette décision).
Sur ce, la sanction infligée à l’auteur d’une faute dolosive ne se limite pas à l’absence de garantie d’assurance, mais tient également au caractère contractuel de sa responsabilité et donc des conséquences qui en découlent en termes de prescription.
En effet, depuis un arrêt en date du 27 juin 2001 (Cass, 3ème civ, 27 juin 2001, n°99-21.017), la Cour de cassation considère que « Le constructeur, nonobstant la forclusion décennale engagée, est sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive. »
Il en résulte que, si les conditions sont réunies pour caractériser une faute dolosive, le maître de l’ouvrage peut alors s’affranchir de la forclusion du délai d’épreuve de la garantie décennale qui court à compter de la réception des travaux.
En effet, il est constant qu’en matière de faute dolosive, c’est la prescription de droit commun de 5 ans de l’article 2224 du code civil qui est applicable (Cass, 3ème civ, 5 janvier 2017, n°15-22.772 ; Cass, 3ème civ, 8 septembre 2009, n°08-17.336), au profit des différents acquéreurs successifs de l’ouvrage (Cass, 3ème civ, 12 juillet 2018, n°17-20.627).
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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