Emprunteurs non avertis: même protégés, soyez diligents!

Publié le : 15/09/2009 15 septembre sept. 09 2009

L'obligation de mise en garde due à l'emprunteur non averti par le banquier paraît circonscrite au risque financier de l’opération et en aucun cas à son utilité.

La protection de l'emprunteur non avertiS'il paraît aujourd'hui établi que l'emprunteur dit non averti, c'est à dire celui dont la qualité (statut et capacité) permet de considérer qu'il n'est pas en mesure de saisir l'entière portée de ses engagements d'emprunt, bénéficie par le devoir de mise en garde pesant sur le banquier (v. par ex. : Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 02-13155 – Cass. com, 20 juin 2006, n° 04.14144), d'une protection accrue en cas de difficultés de remboursement ), il n'en demeure pas moins que cette protection connaît des limites exigeant de cet emprunteur, qu'il fasse tout de même preuve, pour son propre intérêt, de diligence lors de la souscription d'un crédit.


1. Identification de l'emprunteur non averti

Bien que la distinction emprunteur averti/non averti, ne soit pas figée et demeure laissée à l'appréciation des juges lors de chaque litige, il ressort de la pratique que sont en général reconnus emprunteurs non avertis, les personnes (liste non limitative) empruntant :

- pour acquérir leur résidence principale (v. par ex., Cass. civ. 1, 12 juillet 2006, n° 04-13-192) ;
- pour financer leurs travaux dans leur résidence principale (v. par ex., Cass. civ.1, 21 février 2006, n° 02-19066) ;
- pour acheter de l'immobilier locatif (v. par ex., Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, pourvoi n° 03-10921).

D'un point de vue général, l'emprunteur non averti est le profane en matière de crédit qu'il soit particulier ou professionnel (plutôt peu expérimenté), ce compte tenu de la nature de l'opération et sa technicité au regard des risques encourus. Par exemple, une opération classique d'emprunt à taux fixe sur 20 ans (sauf à mensualités progressives – v. par ex : CA Bordeaux, 1ère B, 13 mai 2008- CJA 2008-3, p.556) comportant moins d'aléas qu'une opération de prêt in fine, de prêt relais, d'emprunt à taux variable (peu capée ou non capée), de crédit revolving (v. par ex CA Toulouse, 3ème, 12 juillet 2007 – CJA 2008-1, p. 155), une personne ayant des connaissance en matière de crédit pourra, selon, être reconnue comme avertie ou non avertie. Enfin, selon les juridictions, l'assistance d'un professionnel : financier, notaire ou avocat, pourra, en fonction des circonstances d'espèce, rendre l'emprunteur averti (pour un conjoint cadre de banque – v. par ex., Cass. com., 3 mai 2006, n° 02-11211) ou non (pour un courtier en opérations de crédit – v. par ex : Cass. com., 20 juin 2006; n° 04-14.114).

Cette appréciation s'effectue au cas par cas devant les tribunaux.


2. Les protections bénéficiant à l'emprunteur non averti

2.1 Les obligations pesant sur le banquier

L'obligation de mise en garde due à l'emprunteur non averti par le banquier paraît (en principe car il existe toujours des exceptions) circonscrite au risque financier de l’opération et en aucun cas à son utilité. Conformément au principe de non immixtion du banquier dans les affaires de son client, le banquier ne sera pas tenu de s’intéresser à l’opportunité de l’opération mais seulement à son équilibre financier.

2.1.1 D'abord, le banquier doit se renseigner sur les capacités financières de l'emprunteur, compte tenu des risques d'endettement nés de l'octroi du prêt (v. par ex., Ch. Mixte 29 juin 2007, n° 05-21104). Sa recherche d'informations doit porter sur les facultés de remboursement de l'emprunteur (sources de revenus). La question se pose de savoir, si le banquier doit également s'informer sur le patrimoine de l'emprunteur. La réponse semble demeurer empirique. Récemment, le patrimoine d’emprunteurs a priori non avertis, a constitué un facteur excluant tout devoir de mise en garde de la Banque (v. par ex., Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-13536 – sur cet arrêt, v. encore ci-après), ce qui militerait vers la prise en compte des facultés patrimoniales de l’emprunteur, à son désavantage alors.

2.1.2 Ensuite, le banquier doit attirer l’attention de l’emprunteur sur les risques éventuels nés de l’octroi du prêt et donc insister sur la charge de remboursement qui pèsera sur celui-ci au regard de ses capacités financières.


2.2 La responsabilité supportée par le banquier

2.2.1 Le banquier qui n’aura pas correctement exécuté son devoir de mise en garde sera normalement redevable de dommages et intérêts à l'emprunteur, valorisés à hauteur du préjudice subi. Si la banque peut être sanctionnée pour avoir privé l'emprunteur d'une chance de ne pas accepter le prêt proposé à l'origine de la détérioration de sa situation financière, ce qui s'indemnise à hauteur d'un montant souvent inférieur au solde du crédit (v. par ex. CA Bordeaux, 1ère B, 13 mai 2008, préc.), l'indemnisation accordée peut aussi quasiment se compenser avec le restant dû de l'emprunt à la banque (v. par ex. CA Bordeaux, 1ère B, 24 juin 2008 – CJA 2008-3, p. 558).

Le banquier sera en fait sanctionné pour avoir manqué de diligence lors de l’octroi d’un prêt manifestement disproportionné aux facultés de l’emprunteur non averti.

2.2.2 En pratique, il appartiendra au banquier de justifier avoir correctement exécuté son devoir de mise en garde. Si tout mode de preuve semble admis, le banquier aura eu tout intérêt à "préconstituer" une preuve écrite de ce qu’il a parfaitement réalisé l’obligation pesant sur lui, notamment par mention manuscrite sur l’offre de prêt ou par acte séparé à l’offre sous la forme d’une reconnaissance de l’emprunteur d’avis donné par le banquier, sans que cet acte ne puisse constituer une décharge de responsabilité qui n’aurait en principe, aucune portée préjudiciable à l’emprunteur non averti.


3. Les limites de la protection: l'emprunteur non averti doit tout de même faire preuve de diligence, ce dans son propre intérêt

Les protections dont bénéficie l’emprunteur non averti au titre du devoir de mise en garde du banquier n’excluent pas que cet emprunteur, dans son intérêt, fasse preuve de diligence tant à son égard qu’à l’endroit du banquier. De récentes solutions jurisprudentielles paraissent en effet caractériser les sanctions frappant l’emprunteur négligent qui ne pourra dans certaines circonstances obtenir réparation du banquier.

3.1 L’emprunteur non averti doit être responsable dans la recherche d’un financement ou comment « on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même »

Comme indiqué ci-avant (§- 2.1), le banquier, en l’absence d’obligations pesant sur lui, ne cherchera pas nécessairement à alerter l’emprunteur non averti sur l’opportunité de l’opération (ex : conditions de la revente d’un bien selon sa situation géographique). De même, le banquier n’aura en principe pas à investiguer sur la santé de l’entreprise employeur de l’emprunteur ni sur celle de son couple. Autrement dit, il appartient à l’emprunteur de jauger de l’utilité d’effectuer l’opération le conduisant à recourir au crédit sans attendre, sur ces questions, d’assistance du banquier ni espérer le rendre responsable en cas de difficultés de remboursement ayant pour origine un divorce ou un licenciement économique (v. Cass. Com, 7 juillet 2009, préc.). Mais si c’est au moment de l’octroi du crédit que le banquier doit satisfaire à ses obligations de mise en garde (cf. Ch. Mixte 29 juin 2007, n° 05-21104), certains juges considèrent que le banquier doit aussi apprécier la situation de l'emprunteur au regard des risques éventuellement encourus en cours de remboursement (v. par ex. CA Bordeaux, 1ère B, 13 mai 2008, préc.).

En pratique, les demandes d'indemnisation de l'emprunteur seront appréciées tant au regard de sa qualité propre qu'à l'aune de la situation d'un consommateur moyen (v. par ex. CA Bordeaux, 2éme, 19 mars 2008, CJA 2008-2, p. 326) sur lequel pèse un devoir de prudence même relatif. Il n'en demeure pas moins que l'emprunteur peu aisé, peu qualifié verra ses demandes de réparation plus facilement admises que celles d'un emprunteur qui bien que non averti dispose de plus grandes facultés d'appréciation des risques et de meilleures capacité de réaction en cas de difficultés financières.


3.2 L’emprunteur non averti doit être transparent dans la recherche d'un financement ou comment « la fin ne justifie pas (tous) les moyens »

Le désir d’acquérir aussi fort et compréhensible soit il, ne doit pas conduire l’emprunteur à cacher d’importants éléments d'informations sur ses revenus ou patrimoine au banquier. La fin ne justifiant pas tous les moyens, l’emprunteur trop taisant sur l’existence de charges (crédit à la consommation en cours notamment) ou exagérant sur la réalité et l’importance de ses revenus, risque de le payer chèrement en cas de difficultés de remboursement.

Ainsi dans la circonstance où l’emprunteur dissimule l’existence de charges et que, sur la base des seuls renseignements fournis par l’emprunteur, le banquier octroie un financement parfaitement compatible avec ses capacités de remboursement, aucun manquement au devoir de mise en garde ne devrait en principe être reproché au banquier. Cette solution sanctionnant la déloyauté est fermement appliquée par les juridictions du fond soutenues par la Cour de cassation (cf. Cass. Civ. 1, 30 octobre 2007, n° 06- 17003).

Or, comme en cas de litige, il appartiendra à l’emprunteur de démontrer dans quelle mesure, ses revenus connus du banquier lors de l’octroi du prêt ne lui permettent pas de procéder sans péril au remboursement de l’emprunt (cf. Cass. Civ. 1, 18 février 2009, n° 08 – 11221), l’emprunteur « cachottier » contraint de faire état de ce qu’il avait précédemment dissimulé, sera sanctionné pour son indélicatesse. Outre, le rejet de ses demandes contre le banquier, il pourrait aussi lui être redevable d’indemnités de procédure.

En conséquence, "on n'est jamais trop prudent" dans la recherche d'un financement.

L'auteur de cet article:Stéphane ASENCIO, avocat à Bordeaux





Cet article n'engage que son auteur.

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