Legaltech, mutations sociétales et responsabilité civile de l'avocat
Publié le :
22/09/2017
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L'avocat qui interviendra pour relire le contrat préparé par son client sur la base d'un outil d'intelligence artificielle n'en sera pas moins responsable du conseil qu'il dispense sur ce document dont il ne sera pas l'auteur.
L'avocat, comme tout professionnel, doit répondre, vis à vis de ses clients ou des tiers, des fautes qu'il commet dans son exercice professionnel. Il est d'ailleurs obligatoirement assuré pour cela, et c'est aujourd'hui, avec le secret professionnel et l'accès réglementé à la profession l'un des arguments avancés pour se démarquer des autres prestataires juridiques.
Car, c'est une autre constante, la profession d'avocat n'a pas le monopole de l'exercice du conseil ou de l'assistance juridique. Elle n'a d'ailleurs pas de monopole du tout, excepté pour la représentation pour certaines instance devant le Tribunal de grande instance et quelques autres survivances.
Dans une société du conseil en pleine mutation, la profession doit donc se démarquer par ses avantages concurrentiels sur les autres prestataires du marché du droit et garder/trouver sa place au sein de ce marché.
Le récent rapport HAERI rendu au Garde des sceaux sous la plume de plusieurs de nos excellents confrères avait pour mission de brosser le portait de l'avocat de demain, et l'a accompli avec un succès unanimement salué. A la grande satisfaction de l'auteur de ces lignes, il consacre quelques lignes à la responsabilité civile de l'avocat, qu'il convient de citer:
"Dans le cadre de nos travaux, plusieurs personnes auditionnées (y compris des avocats) ont exprimé l’hypothèse que l’un des obstacles à la transformation de notre modèle d’exercice pour l’adapter aux besoins de certains clients soit précisément constitué par un mélange de valeurs et d’habitudes de travail. Au premier rang de ces valeurs, se trouve une logique d’honneur et de perfectionnisme qui amène l’avocat à porter une attention très grande à un travail sur lequel le client l’a invité – naturellement à des fins de limitation des coûts – à passer un temps limité.
Une difficulté majeure à ce sujet est que les principes de responsabilité civile de l’avocat sont construits sur cette forme plus classique de travail. En résumé : on exige légalement de l’avocat qui est consulté une attention très détaillée, la couverture la plus complète des risques et des enjeux alors même que son client ne le charge que d’une mission très limitée. Sera-t-il possible de faire varier ce devoir de conseil de l’avocat en fonction de l’intensité de la mission commandée par le client ? Peut être que la voie mérite-t-elle d’être explorée." (rapport HAERI, p.56)
Il est probable que ces réflexions sont partagées par ceux dont le rôle est d'assurer la défense de leurs confrères en matière de responsabilité civile. C'est mon cas. Car, c'est un constat: le rapport au client et les attentes de celui-ci changent. La nature des missions confiées évolue. Dans un monde de droit en perpétuelle mutation, l'avocat est constamment incité à se spécialiser dans tel ou tel domaine. Lorsqu'il doit se présenter, il doit souvent répondre à cette question, au demeurant pertinente, bien que grammaticalement approximative: "Vous êtes avocat en quoi?" Il serait donc anachronique d'exiger de lui qu'il soit omniscient.
Parallèlement, l'appréhension de certains domaines juridiques par d'autres professions du chiffre et du droit l'amène à partager sa mission, dans le cadre d'opérations parfois complexes, avec d'autres professionnels (notaire, expert comptable, confrère spécialiste d'une question précise). Ceci suppose qu'il soit capable de travailler en équipe (ce qui est un autre sujet) mais également qu'il circonscrive sa mission, et que le périmètre de celle-ci soit clairement défini avec le client.
La signature d'une convention de frais et honoraires est obligatoire depuis peu, même si de nombreux confrères l'ont intégrée dans leur "parcours client" de longue date. C'est déjà à ce stade que le périmètre de la mission doit être défini et exposé au client de manière intelligible. Et le professionnel du droit ne se dévalorisera pas à admettre ne pas pouvoir éclairer son client sur tel ou tel aspect, pour peu qu'il soit alors capable de le formaliser clairement, et de lui proposer de collaborer avec un autre professionnel qu'il recommandera. Cette convention, au delà d'être uniquement un lien contractuel permettant d'encadrer la facturation future devient ainsi un véritable pivot, une charte où chacun définit les règles de la coopération nécessaire au traitement d'un dossier qui s'apparente souvent à de la "coconstruction", pour reprendre un terme contemporain très en vogue.
Pour illustrer ce propos et dévoiler le fond de ma pensée, il est toujours extrêmement frustrant, dans un dossier de responsabilité, de voir un avocat mis en cause pour ne pas avoir mené par exemple un audit complet sur le plan de l'ingénierie juridique et fiscale, travail représentant un investissement considérable, et ne pas avoir proposé de solutions alternatives à celle retenue, alors que le client est venu le voir sur recommandation d'un autre de ses interlocuteurs, en indiquant avoir déjà mené cette réflexion et en lui demandant uniquement d'instrumenter le montage déjà décidé en amont (cession de parts, création de société...). La frustration est d'autant plus grande que le confère en question n'a évidemment facturé en contrepartie que ce travail restreint. Doit-on considérer qu'il aurait dû refuser la mission à défaut de pouvoir l'embrasser dans son ensemble, alors que le client n'aurait pas accepté d'en payer le prix? A priori non. Si tant est que la mission soit claire et cantonnée à l'obligation de résultat attachée à la rédaction de l'acte.
Mais la convention d'honoraires ou les écrits échangés entre l'avocat et son client ne font pas tout. L'appréhension judiciaire de la responsabilité de l'avocat, lorsqu'elle est mise en cause devant les juridictions civiles, doit nécessairement prendre en compte ces évolutions sociétales. Le sens de mes propos n'est pas de plaider en faveur d'une conception plus souple - voir laxiste - de la responsabilité (qui reste, on l'a vu, un argument concurrentiel), mais d'une conception réaliste. C'est ce que j'ai exposé dans un récent article sur la responsabilité civile de l'avocat.
Cette nécessaire prise en considération de l'évolution de la "consommation" de droit est d'autant plus importante que ce changement va connaître une véritable disruption, notamment avec l'émergence de la Legaltech. La ressource est aujourd'hui en libre accès, et le justiciable dispose de modèles de contrats de base accessibles gratuitement, d’algorithmes de justice prédictive, et plus largement d'une source intarissable d'informations via le web. Demain, les juridictions seront saisies en ligne. Autant de services et prestations qui vont intervenir en amont de l'avocat dans le parcours du justiciable et dans sa rencontre avec l'univers du droit.
Heureusement, la plupart des acteurs de la Legaltech ont parfaitement à cœur de combler un vide correspondant à une demande de droit, mais ont également conscience de l'intérêt de collaborer avec les métiers du conseil, dont l'intérêt sera d'appréhender les outils nouveaux et de se concentrer sur l'humain, en relais de ces nouvelles solutions. Mais quant au spectre de leur responsabilité civile, il devra nécessairement être tenu compte de leur nouveau positionnement et des moyens dont ils disposeront, pour que garde tout son sens, précisément, cette expression d'obligation "de moyen". Car l'avocat qui interviendra pour relire le contrat préparé par son client sur la base d'un outil d'intelligence artificielle n'en sera pas moins responsable du conseil qu'il dispense sur ce document dont il ne sera pas l'auteur.
La construction jurisprudentielle a donc probablement en la matière de belles années devant elle.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © milamon0 - Fotolia.com
Auteur
ENGLISH Benjamin
Avocat Associé
Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration, SHANNON AVOCATS - La Baule, SHANNON AVOCATS - Saint-Brieuc
SAINT-BRIEUC (22)
Historique
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