Le point de départ du délai de prescription d'une action en paiement est constitué par la date d'exigibilité de l'obligation qui a donné naissance à la créance
Publié le :
18/07/2024
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Par un acte en date du 8 septembre 2015, une promesse unilatérale de vente a été consentie sur un appartement moyennant le prix de 995.000 euros, sous la condition suspensive notamment de l’obtention d’un prêt au plus tard le 7 novembre 2015.
Il a alors été contractuellement convenu du paiement d’une indemnité d’immobilisation d’un montant de 99.500 euros en cas de non levée de l’option, sauf à ce qu’il soit justifié de la non-réalisation des conditions suspensives.
N’ayant pas obtenu son prêt, le bénéficiaire de la promesse a mis en demeure les promettants de lui restituer la somme qui avait été consignée par des courriers en date des 12 juillet 2017 et 6 janvier 2000.
Il sera en effet rappelé qu’en cas de non-réalisation de la condition suspensive d’obtention de prêt, l’indemnité qui a été consignée doit être restituée nonobstant toute clause particulière d’aménagement qui serait prévue à l’acte, s’agissant d’une disposition d’ordre public procédant du code de la consommation.
Le prêt n’ayant pas été obtenu, le bénéficiaire de la promesse de vente a fait assigner le promettant en restitution de l’indemnité d’immobilisation qui avait été versée entre les mains du notaire.
Le promettant lui a alors opposé la prescription de son action pour s’opposer à la restitution de l’indemnité d’immobilisation par un courrier en date du 27 janvier 2020.
A la suite de la délivrance d’une assignation au fond, le juge de la mise en état a considéré que l’action en restitution était recevable, au motif que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour où l’acheteur avait eu connaissance du refus du promettant de lui restituer l’indemnité d’immobilisation, soit le 27 janvier 2020.
Par un arrêt en date du 30 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris (Cour d’appel de Paris, 30 septembre 2022, n°22-00936) a infirmé l’ordonnance et a débouté le bénéficiaire de la promesse de vente de sa demande en restitution du fait de la prescription de son action.
Au soutien de son pourvoi, le bénéficiaire de la promesse de vente soutenait que le fait justifiant l’exercice de l’action tendant, en cas de défaillance de la condition suspensive à laquelle était soumise la promesse de vente, à ce que l’indemnité d’immobilisation qu’il a versée lui soit restituée, ne pouvait consister que dans la connaissance par le bénéficiaire de la promesse du refus du promettant que l’indemnité lui soit restituée.
A cet égard, il sera rappelé qu’en application des dispositions de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Par son arrêt en date du 11 juillet 2024 (Cass, 3ème civ, 11 juillet 2024, n°22-22.058, publié au Bulletin), qui est destiné à la publication au Bulletin, la Cour de cassation applique pour la première fois à une demande en paiement de l’indemnité d’immobilisation (en l’espèce une demande de restitution) d’une promesse unilatérale de vente le principe déjà adopté selon lequel le point de départ de la prescription de l’action en exécution d’une obligation se situe au jour où le créancier a su ou aurait dû savoir qu’elle était exigible et non à la date à laquelle il a eu connaissance du refus du débiteur de l’exécuter.Ce faisant, la Haute juridiction considère que l’indemnité d’immobilisation est devenue « immédiatement remboursable » du fait de la défaillance de la condition suspensive en application de l’article L 312-16 alinéa 2 du code de la consommation, devenu l’article L 313-41.
L’action en paiement ayant été initiée plus de 5 ans après la date de défaillance de la condition suspensive, elle doit donc être considérée comme étant prescrite.
La décision est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui a déjà été amenée à considérer que le point de départ de l’action correspond à la date d’exigibilité de la créance dans des situations certes différentes.
Dans un arrêt en date du 20 octobre 2021 (Cass, 1ère civ, 20 octobre 2021, n°20-13.661), la Haute juridiction a retenu que le point de départ du délai de prescription se situait à la date de prononcé de la déchéance du terme pour le capital restant dû par le débiteur.
Encore et de façon plus générale, dans un arrêt en date du 2 mars 2022 (Cass, 3ème civ, 2 mars 2022, n°20-23.602), faisant suite à un arrêt d’Assemblée plénière en date du 6 juin 2003 (Ass, plén, 6 juin 2003, n°01-12.453, publié au Bulletin), la Cour de cassation a très clairement indiqué que le point de départ du délai à l’expiration duquel une action ne peut plus être exercée se situe à la date d’exigibilité de l’obligation qui lui a donné naissance.
Sur ce, au terme de sa jurisprudence la plus habituelle, la Cour de cassation a toujours considéré que le moment où le titulaire de l’action d’un droit prescriptible peut commencer à agir correspond à la date d’exigibilité de la créance (Cass, 3ème civ, 6 octobre 2006, n°15-14.417).
La situation est au-demeurant identique s’agissant de la prescription de l’action en paiement des travaux réalisés, dont le point de départ n’est pas fixé à la date d’établissement de la facturation, mais à la date de l’achèvement des travaux (Cass, 1ère civ, 19 mai 2021, n°20-12.520).
La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation s’est au-demeurant alignée sur cette position par un arrêt en date du 1er mars 2023 (Cass, 3ème civ, 1er mars 2023, n°21-23.176), tout en réservant le cas où le contrat en disposerait autrement.
Dans le même esprit, le point de départ du délai de prescription de l’action en paiement du solde du marché correspondant à la retenue de garantie dans le cadre d’un contrat de construction de maisons individuelles, compte tenu des dispositions légales particulières qui sont d’ordre public de surcroît, ne correspond pas à la date de l’achèvement des travaux, mais à la date de la levée des réserves (Cass, 3ème civ, 13 février 2020, n°18-26.194).
Pour sa part, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 8 décembre 2021 (Cass, com, 8 décembre 2021, n°20-10.407), a tout aussi clairement indiqué que le point de départ de la prescription quinquennale court non pas à compter de la date d’échéance figurant sur la facture, mais à compter du moment où l’action peut être exercée.
De façon très pragmatique, dans son avis, la première avocate générale avait ouvertement milité pour que soit retenu un point de départ objectif (exigibilité de la créance), plutôt qu’un point de départ glissant et donc subjectif résultant d’une stricte application des dispositions de l’article 2224 du code civil.
Force est en l’espèce de constater, qu’il est tout à fait clair qu’à la date à laquelle il lui a été opposé un refus de restitution, le bénéficiaire de la promesse de vente connaissait depuis déjà fort longtemps son droit à obtenir la restitution de l’indemnisation d’immobilisation qu’il avait séquestrée.
Il a simplement tardé à agir judiciairement.
Et Madame VASSALLO, première avocate générale, de conclure sur le pourvoi :
« Il nous semble que, dès lors qu’un point de départ objectif de prescription peut être déterminé de façon certaine, ce n’est que par exception et dans des hypothèses marginales et justifiées, que le point de départ peut être fixé en fonction de la connaissance subjective du titulaire de son droit, ce dernier ayant tout intérêt à le retarder. En outre, si le titulaire de l’action peut agir et n’est pas paralysé par le principe contrat non valentem agere non currit prescriptio, il n’y a pas lieu de retarder le point de départ de la prescription. »
A méditer fortement pour la défense d’autres causes…
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
ANGERS (49)
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