Le droit de préférence du locataire commercial écarté en cas de vente sur saisie
Publié le :
06/02/2024
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Dans une décision du 3 novembre 2023 (Pourvoi 22 – 17 505 FS-B) la Cour de cassation a eu l’occasion de faire application des dispositions de l’article L 145 – 46 – 1 du code de commerce relatif au droit de préférence légal du preneur, lorsque le propriétaire d’un local commercial ou artisanal envisage de le vendre dans l’hypothèse particulière d’une procédure de saisie-vente.
Le contexte :
Il ressort des dispositions des alinéas un et deux de l’article 145 – 46 – 1 du code de commerce que :« Lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée.
Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer.
En cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois.
Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet ».
Ce texte qui instaure un droit de préférence légal du locataire commercial s’applique à toute vente d’un local à usage commerciale ou artisanale intervenue depuis le 18 décembre 2014, comme la Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler dans une décision du 12 novembre 2022 (Pourvoi 19-16927 FS-D) :
« Selon l'article 21, III, de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, l'article 14 de cette loi, qui a institué un droit de préemption au bénéfice du locataire en cas de mise en vente des locaux à usage commercial ou artisanal, s'applique à toute cession d'un local intervenant à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la loi.
5. Cette disposition, interprétée à la lumière des travaux parlementaires, doit être entendue comme signifiant que l'article L. 145-46-1 du code de commerce s'applique à toute cession conclue six mois après la promulgation de la loi, soit le 18 décembre 2014 ».
La portée du droit de préférence légal :
Il ressort du texte ci-dessus visé que le droit de préférence n’est prévu que pour les ventes, ce qui sur le principe semblait écarter toutes les autres formes de transfert de propriété, qu’il s’agisse de transfert à titre gratuit comme les donations ou les successions, ou à titre onéreux et notamment lors des apports en société.La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que le droit de préférence ne s’appliquait pas à la vente judiciaire qui intervient dans le cadre de la liquidation amiable de la société propriétaire (Cour de cassation, 3ème Chambre civile arrêt du 17 mai 2018 pourvoi n°17-16113 FS-BPI) ni dans le cadre d’une vente de gré à gré dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société propriétaire (Cour de cassation, 3ème Chambre civile arrêt du 15 février 2023 pourvoi n°21-16475 FS-B).
La portée du droit de préférence légal ainsi fixé par la Cour de cassation est claire et s’applique aux ventes.
Cette solution laissait peu de doutes quant à l’éventuelle application du droit de préférence dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière qui semble hors du cadre de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, et de l’interprétation qu’en fait la Cour de cassation.
Le cas d’espèce :
Dans l’affaire susvisée, les faits sont les suivants : par jugement d'adjudication rendu sur des poursuites de saisie immobilière engagées par un créancier contre des propriétaires d'un local commercial donné à bail à un preneur, le local loué a été adjugé au profit d’un enchérisseur.Le locataire a alors déclaré exercer son droit de préférence sur le local adjugé, ce qui en application de la jurisprudence susvisée semblait hors cadre : la vente sur saisie dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière ne répondant pas aux mêmes conditions qu’une vente de droit commun.
Le locataire commercial anticipant probablement la réponse de la Cour de cassation soulevait devant la Cour d’appel une question prioritaire de constitutionnalité dans les termes suivants : « L'article L. 145-46-1 du code de commerce est-il conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, notamment à la liberté d'entreprendre protégée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens de 1789, au principe d'égalité garanti par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il prévoit d'accorder au locataire d'un local à usage commercial ou artisanal le bénéfice d'un droit de préemption seulement lorsque le propriétaire envisage de vendre ce local et non en cas de vente forcée dudit local sur adjudication ? »
La question se heurtait toutefois à l’examen des conditions de recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité, la Cour de cassation considérant que la question n’était pas nouvelle, qu’elle ne présentait pas de caractère sérieux, et que la différence de traitement entre une opération de vente et une opération de vente par adjudication reposait sur une différence de situation. La Cour statuait ainsi sans opérer de renvoi devant la juridiction constitutionnelle.
La Cour de cassation considérait au demeurant que cette situation ne portait aucune atteinte à la liberté d’entreprendre, dès lors que ce principe n’implique aucunement le droit d’acquérir les murs d’un local d’exploitation.
La Cour de cassation rappelait enfin que par application des dispositions de l’article L. 322-7 du code des procédures civiles d'exécution, le locataire peut, comme toute personne, se porter enchérisseur s'il justifie de garanties de paiement.
Cet article dispose que « sous réserve des incapacités tenant aux fonctions qu'elle exerce, toute personne peut se porter enchérisseur si elle justifie de garanties de paiement ».
À ce titre, l’absence de droit légal de préférence n’a pas pour effet d’exclure le locataire commercial du bénéfice de l’article L.322-7 code des procédures civiles d'exécution, et donc du droit de se porter enchérisseur indépendamment du droit de préférence dont il dispose en cas de vente.
Cette solution semble conforme au texte de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, et elle posait au demeurant des difficultés pratiques : alors que le Code de commerce impose au propriétaire de notifier au locataire le prix et les conditions de la vente envisagée, la procédure de saisie immobilière, en ce qu’elle implique un aléa sur le prix rend de fait incompatible le respect de l’obligation prescrite par le texte.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Nasser MERABET
Avocat Associé
Cabinet Conseil des Boucles de Seine – CCBS
ELBEUF (76)
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