Le régime de prescription applicable aux recours entre "constructeurs"

Le régime de prescription applicable aux recours entre "constructeurs"

Publié le : 22/09/2015 22 septembre sept. 09 2015

Il est désormais établi qu’il ne peut exister de subrogation entre locateurs d’ouvrage, de sorte qu’un constructeur, condamné à indemniser un maître de l’ouvrage et qui entend recourir contre un autre constructeur ou un sous-traitant, co-responsable, ne peut se prétendre subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage pour faciliter l’exercice de son recours, ce qui serait le cas si sa condamnation était prononcée sur le fondement de la présomption de responsabilité édictée par l’article 1792 du Code civil.C’est ce qu’a rappelé la Cour de Cassation dans un arrêt rendu le 11 septembre 2012 (Cass, 3ème civ, 11 septembre 2012, n° 11-21.972), au visa de l’article 1382 du Code civil, en indiquant :

« Qu’en statuant ainsi, sans constater l’existence d’un lien contractuel entre la société X et les architectes et alors que les constructeurs, liés au maître de l’ouvrage par des conventions distinctes, sont des tiers dans leurs rapports et peuvent engager entre eux une action en responsabilité quasi délictuelle qui se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

La position est identique à celle qui avait déjà été adoptée dans un arrêt rendu le 8 juin 2011 (Cass, 3ème civ, 8 juin 2011, n° 09-69894) :

« Les personnes responsables de plein droit en application des dispositions de l’article 1792 du Code civil, lesquelles ne sont pas subrogées après paiement dans le bénéfice de cette action réservée au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs, ne peuvent agir en garantie ou à titre récursoire contre les autres responsables tenus avec elle au même titre, que sur le fondement de la responsabilité de droit commun applicable dans leur rapports. »

Ainsi donc, le recours d’un constructeur contre un autre « constructeur » est de nature contractuelle lorsqu’ils sont contractuellement liés entre eux et de nature quasi délictuelle s’ils ne le sont pas (Cass, 3ème civ, 8 février 2012, n° 11-11.417), le locateur d’ouvrage ne disposant en effet que « d’une action personnelle » et non d’une action subrogatoire (Traité de droit civil, les conditions de la responsabilité, Geneviève Viney & Patrice Jourdain, page 316).

Ces différentes décisions ont pour point commun d’avoir été rendues sur le fondement des dispositions en vigueur avant la réforme de la prescription par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

Or, si la situation jurisprudentielle est aujourd’hui très claire concernant la nature des recours qui sont susceptibles d’être exercés entre constructeurs, il en est tout autrement s’agissant du régime de prescription applicable, ce qui est fort dommageable.

En effet, alors que la Cour de Cassation a été amenée à retenir le régime du droit commun pour les actions engagées avant la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008 (I), il n’est pas du tout évident que ce principe soit destiné à prospérer pour les actions engagées postérieurement, compte tenu des nouvelles dispositions législatives en vigueur (II).


I – SUR LE REGIME DE PRESCRIPTION APPLICABLE AVANT LA REFORME DU 17 JUIN 2008 :Dans son arrêt rendu le 11 septembre 2012 (Cass, 3ème civ, 11 septembre 2012, n° 11-21.972), au visa des articles 1382 et 2270-1 du Code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 85-6677 du 5 juillet 1985, la Cour de Cassation a indiqué que l’action en responsabilité quasi délictuelle que peuvent engager entre eux les constructeurs « se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. »

Ce principe avait déjà été retenu dans les arrêts rendus les 8 février 2012 (Cass, 3ème civ, 8 février 2012, n° 11-11.417) et 11 juillet 2012 (Cass, 3ème civ, 11 juillet 2012, n° 10-28.535 ; 10-28.616 et 11-10.995).

Tout particulièrement dans son arrêt du 8 février 2012, la Cour de Cassation avait été particulièrement explicite, en indiquant que :

« le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur n’est pas fondé sur la garantie décennale, mais est de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi délictuelle s’ils ne le sont pas, de sorte que le point de départ du délai de cette action n’est pas la date de réception des ouvrages. »

Ainsi donc, s’agissant des actions engagées avant la réforme de la prescription par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le point de départ du recours du constructeur à l’encontre d’un autre constructeur ou d’un sous-traitant n’est pas la date de la réception des ouvrages, mais conformément au droit commun de la responsabilité civile, le jour de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

Il convient ainsi de se référer aux dispositions de l’article 2270 du Code civil et de l’article L 110-4 du Code de commerce lorsque les deux parties sont commerçantes.

A cet égard, il est considéré que la « manifestation du dommage » est constituée par la mise en cause du constructeur, qui seule justifie la mise en œuvre d’une action récursoire à l’encontre des autres intervenants à l’acte de construire, ce qu’a confirmé la Cour de Cassation dans un arrêt rendu le 10 mai 2007 (Cass, 3ème civ, 10 mai 2007, n° 06-13836) :

« la cour d’appel a retenu à bon droit, d’une part, que les deux parties étant commerçantes, le délai de prescription de l’action de l’entrepreneur principal envers son sous-traitant avait commencé à courir à l’époque où l’action a été engagée du jour où l’entrepreneur agissant en garantie avait été assigné par le maître d’ouvrage ou l’assureur subrogé dans les droits de celui-ci. »

La solution est identique dans un arrêt rendu le 8 septembre 2010 (Cass, 3ème civ, 8 septembre 2010, n° 09-67.434), y étant expressément indiqué que : « Dès lors, en application de l’article L 110-4 du Code de commerce, le délai décennal de l’action ouverte à l’entreprise principale à l’encontre de son sous-traitant commence à courir à la date à laquelle la responsabilité de l’entreprise principale a été mise en cause par le maître de l’ouvrage. »

La Cour de Cassation l’a encore tout récemment rappelé, dans un arrêt rendu le 2 juin 2015 (Cass. 3ème civ, 2 juin 2015, n° 14-16.823), en indiquant que : « pour les contrats de sous-traitance conclus antérieurement à la mise en application des dispositions issues de l’ordonnance du 8 juin 2005 et de la loi du 17 juin 2008, en vue de la réalisation d’ouvrages dont la réception est intervenue plus de dix ans avant cette date, le délai de prescription de l’action en responsabilité dirigée contre les sous-traitants par l’entrepreneur principal, d’une durée de dix ans, court à compter du premier acte dénonçant les dommages à l’entrepreneur principal, que la mise en cause aux fins de désignation d’expert devant le juge des référés constitue le point de départ de ce délai. »

Il sera enfin rappelé que le recours sur le fondement du vice caché exercé par le constructeur à l’encontre du fabricant, quoi qu’étant soumis au délai de deux ans de l’article 1648 alinéa 1er du Code civil à compter de la connaissance du vice, demeure en tout état de cause enfermé dans le délai de prescription de dix ans de l’article 2270-1 du Code civil (délai désormais ramené à cinq par les articles 2224 du Code civil et L 110-4 du Code de commerce).

Afin d’atténuer les difficultés qui découlent nécessairement de l’articulation de ces dispositions, la jurisprudence a été amenée à préciser que le délai d’action de deux ans se trouve suspendu jusqu’à la mise en cause judiciaire du constructeur, en référé, voir au fond dans certaines circonstances.

C’est ainsi que dans un arrêt rendu le 22 mai 2012 (Cass, Com, 22 mai 2012, n°11-18.125) la Cour de Cassation a été amenée à préciser que : « le bref délai dont dispose le vendeur pour exercer l’action récursoire en garantie à l’encontre de son fournisseur ne court pas de la date de l’assignation en référé-expertise dont l’objet tend à déterminer les causes du dommage invoqué par l’acquéreur, mais de la date de l’assignation au fond du vendeur, qui marque la volonté de l’acquéreur de mettre en œuvre la garantie du vice caché. »

Il en résulte, qu’en tout état de cause, le recours d’un locateur d’ouvrage à l’encontre d’un autre « constructeur » peut toujours être exercé postérieurement à l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale, qui est déterminé quant à lui exclusivement par rapport à la date de réception des ouvrages.

II – SUR LE REGIME DE PRESCRIPTION APPLICABLE DEPUIS LA REFORME DU 17 JUIN 2008 :Il résulte des dispositions de l’article 1792-4-1 du Code civil, résultant de la loi du 17 juin 2008 emportant réforme de la prescription, que toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l’article 1792-3, à l’expiration du délai de deux ans.

Pour sa part, l’article 1792-4-2 du Code civil dispose que les actions en responsabilité dirigées contre un sous-traitant en raison de dommages affectant un ouvrage ou des éléments d’équipement d’un ouvrage mentionnés aux articles 1792 et 1792-2 se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux et, pour les dommages affectant ceux des éléments d’équipement de l’ouvrage mentionnés à l’article 1792-3, par deux ans à compter de la réception.

Qu’il s’agisse donc d’agir à l’encontre d’un constructeur ou d’un sous-traitant, l’action du maître de l’ouvrage doit être nécessairement introduite avant l’expiration du délai de dix ans courant à compter du prononcé de la réception des ouvrages.

Les articles 1792-4-1 et 1792-4-2 du Code civil instituent ainsi une uniformisation du régime de la forclusion, tant en ce qui concerne la durée que le point de départ du délai.

En procédant de la sorte, le législateur s’est montré attentif aux attentes de la doctrine, qui depuis fort longtemps militait en faveur d’une uniformisation du régime de la prescription, à tout le moins des actions du maître de l’ouvrage.

Pour qu’elle raison alors devrait-il en être autrement concernant les actions des constructeurs entre eux, ou à l’égard de leurs sous-traitants, alors qu’il résulte tout précisément des dispositions de l’article 1792-4-3 du Code civil que :

« En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. »

C’est d’ailleurs ce qui a été considéré par la cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 16 novembre 2012 (Cour d’appel de Paris, pôle 4, 6ème chambre, 16 novembre 2012, n° 11-02657) :

« Considérant que le recours exercé par la société X et son assureur, fondé sur la responsabilité délictuelle, est néanmoins enfermé dans un délai de prescription de dix ans qui court à compter de la réception des travaux en application de l’article 1792-4-3 ; que cette action est par conséquent également prescrite comme l’a exactement énoncé le premier juge et que les demandes dirigées contre la société Y et contre son assureur ne peuvent prospérer. »

Le caractère dérogatoire de l’article 1792-4-3 du Code civil a également été retenu par la cour d’appel de Montpellier dans un arrêt rendu le 4 juillet 2013 (Cour d’appel de Montpellier, 1ère chambre, 4 juillet 2013, n° 12-08054), au motif très clairement énoncé d’une volonté de procéder à une uniformisation des délais de prescription :

« L’article 1792-4-3 du Code civil issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, aux termes duquel « en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-3 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux » qui uniformise les délais de prescription en matière de responsabilité des constructeurs, s’applique, compte tenu de sa généralité, à toutes les actions récursoires contre les locateurs d’ouvrage, qu’elles soient de nature délictuelle ou contractuelle. »

« Ce texte, en ce qu’il concerne spécifiquement les actions dirigées contre les constructeurs à l’exception de cas limitativement énumérés, déroge aux dispositions de portée générale de l’article 2224 du Code civil, aux termes duquel « les actions personnelles ou immobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître des faits lui permettant de l’exercer. »

« Ainsi, d’une part ce délai de forclusion est applicable à toute action dirigée contre un constructeur et à tous les recours entre constructeurs, quel que soit son fondement juridique y compris extra-contractuel ; d’autre part il court dans tous les cas à compter de la réception des travaux et non à compter de la date à laquelle celui qui l’exerce a été assigné par le maître de l’ouvrage. »

Ces jurisprudences se réfèrent à une stricte lecture du texte, qui vise littéralement toutes les actions qui ne sont pas régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2 du Code civil et qui sont dirigées à l’encontre « des constructeurs et de leurs sous-traitants », sans que soit précisé l’auteur des recours et donc sans aucune restriction à ce titre.

Au-demeurant, si les dispositions de l’article 1792-4-3 du Code civil n’avaient pas vocation à s’appliquer dans le cadre des recours entre constructeurs, ou dans le cadre du recours entre un constructeur et un sous-traitant, il apparaîtrait assez légitime de s’interroger sur son utilité, puisque de quelles « actions » le législateur aurait il voulu lui réserver les faveurs ?

Si la volonté de parvenir à une uniformisation du régime de la prescription des constructeurs et de leurs sous-traitants peut donc apparaître légitime et à priori conforme à l’intentions du législateur, il n’en demeure pas moins que le raisonnement ne peut-être considéré comme étant pleinement satisfaisant, dès lors que l’article 1792-4-3 du Code civil figure dans un chapitre qui est expressément consacré au louage d’ouvrage, c’est à dire aux actions qui sont offertes au maître de l’ouvrage, ce qui par nature ne concerne pas les actions des« constructeurs » entre eux.

Il n’est donc pas impossible que la Cour de Cassation se montre scrupuleuse du respect de l’ordonnancement juridique qui a été retenu par le législateur en 2008, peut-être maladroitement au-demeurant.

Toujours est-il que dans toutes les décisions qui ont été rendues depuis l’entrée en vigueur du régime de la prescription, mais pour des affaires soumises au régime antérieur, la Cour de Cassation n’a jamais cru devoir reconsidérer sa position.

De manière systématique en effet, la Cour de Cassation considère que seul le droit commun de la responsabilité civile est applicable et qu’il convient donc de retenir un délai de prescription de dix ans, et non de forclusion, à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

Force est de constater que c’est d’ailleurs la position qui a été retenue par la cour administrative d’appel de Douai qui, dans un arrêt rendu le 10 avril 2012 (Cour administrative d’appel de Douai, 1ère chambre, 10 avril 2012, n° 10-DA-01686) a très clairement indiqué que :« l’appel en garantie exercé par un constructeur contre un autre sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle est régi, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, par l’article 2224 du Code civil, et non par l’article 1792-4-3 qui ne concerne que les actions exercées par le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur. »

S’inscrivant donc dans la même logique que les décisions rendues par la Cour de Cassation sous le régime antérieur à la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008, cette jurisprudence retient l’application du droit commun de la responsabilité civile, et donc en l’espèce les dispositions des article 2224 du Code civil et L 110-4 du Code de commerce, soit un délai de cinq ans à compter de la connaissance du droit à agir, pour les actions récursoires des constructeurs entre eux, mais également à l’encontre des sous-traitants et des fabricants.

Il est donc des plus urgent que la Haute juridiction se prononce enfin clairement sur le régime de prescription applicable aux recours entre « constructeurs » compte tenu des enjeux existants, ce d’autant plus qu’il apparaît difficilement compréhensible que des incertitudes puissent encore subsister sur une question aussi importante plus de sept ans après l’entrée en vigueur de la réforme.



Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © julien tromeur - Fotolia.com

Auteur

Ludovic GAUVIN
Avocat Associé
ANTARIUS AVOCATS ANGERS, Membres du Bureau, Membres du conseil d'administration
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