Comment qualifier le harcèlement moral au travail ?
Publié le :
03/10/2018
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Le harcèlement moral au travail est réprimé, à ce jour, et depuis la loi du 4 août 2014, par l’article 222-33-2 du Code pénal comme suit :
Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende ».
Cette formulation a remplacé les « agissements » initialement requis par l’ancienne qualification, applicable au moment des faits de l’espèce.
Cependant, qu’il s’agisse de propos et comportements, ou d’agissements, notion encore plus large, ces termes généraux laissent une part d’interprétation conséquente aux juridictions répressives pour apprécier les situations qui leurs sont soumises.
L’utilisation, par le législateur, de ces termes généraux est d’ailleurs symptomatique de l’infraction elle-même : il peut en effet y avoir autant de manifestations différentes de l’infraction de harcèlement qu’il y a de dossiers renvoyés devant le tribunal correctionnel.
Lister, de manière exhaustive, les actes pouvant être constitutifs de l’infraction reviendrait inévitablement à exclure des situations non anticipées, voire qu’il n’est pas possible d’anticiper, qui pourraient caractériser une telle infraction : c’est une infraction protéiforme, complexe et particulièrement factuelle, qui ne peut s’apprécier in abstracto.
Cependant, l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 19 juin 2018, concernant une ouvrière de cuisine, soutenant avoir été harcelée par son manager, chargé de réorganiser le travail en cuisine, a été l’occasion pour la Cour de Cassation non seulement de rappeler les principes applicables à l’appréciation de la caractérisation de cette infraction, mais également la nécessité d’apprécier ces éléments avec objectivité.
Les faits tels que développés dans l’arrêt mettent en scène un harcèlement vertical allégué, c’est à dire commis pas un supérieur hiérarchique à l’égard de son subordonné.
Dans cette manifestation la plus courante de l’infraction, la question suivante est régulièrement posée aux juges répressifs :
Y a t-il eu un abus, par le manager, de son pouvoir de direction ?
Bien entendu, diriger n’est pas harceler : décider, organiser ou sanctionner font, au contraire, parties des prérogatives normales et acceptées du chef d’entreprise ou de ses délégataires.Cependant, les juridictions du fond sont très régulièrement sollicitées pour dessiner la ligne séparant les méthodes de management, parfois maladroites et mal perçues par les salariés, de l’infraction de harcèlement moral.
La Cour de Cassation intervient donc régulièrement pour rappeler les principes sur lesquels se fonder pour tracer cette limite, reposant souvent sur des éléments à la fois factuelle et de contexte.
Les faits allégués par la plaignante étaient les suivants : elle aurait subi les cris et accès de colère de son supérieur, il aurait des claquements de doigt pour l’interpeler en cuisine, et aurait prononcé les phrases suivantes à son encontre : « comment peut-on engager des bons à rien comme cela » ou « si vous ne savez pas porter, vous n’avez qu’à pas prendre des métiers d’homme ».
En fonction du contexte, ces faits peuvent aussi bien caractériser l’infraction de harcèlement moral, que ne pas être suffisant pour condamner le mis en cause.
D’ailleurs, tant le Procureur de la République, que les juges de première instance et la Cour d’Appel ont considéré que le comportement et les propos ci-dessus décrits de Monsieur X. à l’égard de Madame A. ne permettaient pas de caractériser l’infraction.
La Cour d’appel, à cet égard, a invoqué les motifs habituellement mis en avant par la jurisprudence pour renvoyer le prévenu des fins de la poursuite :
- les faits tels que dénoncés mettaient en avant un management inadapté, trop abrupt et trop directif, mais appliqué à l’égard de l’ensemble du personnel, sans aucune distinction.
- les propos tenus, certes désobligeants, ont été prononcés dans une situation particulière et n’ont pas été répétés.
- les faits se sont déroulés en cuisine, au sein de laquelle on sait le management dur, voire brutal, et, en tout état de cause stressant ;
- le comportement de la victime, qui n’acceptait aucune remarque sur son travail, était lui même inapproprié à l’égard de son supérieur hiérarchique.
L’arrêt rendu par la Cour de Cassation saisie par la plaignante sur intérêts civils, le Ministère public n’ayant pas formé de pourvoi, n’apporte en réalité pas d’éléments nouveaux permettant de caractériser l’infraction : en revanche, et c’est tout l’intérêt de l’arrêt, il rappelle les principes déjà établis, et impose, en particulier l’objectivation des éléments constitutifs de l’infraction :
Attendu que, d'une part, selon le premier de ces textes, dans sa version applicable à la date des faits, constitue le délit de harcèlement moral le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ;
Attendu que, d'autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que Mme A... , ouvrière professionnelle de cuisine au lycée hôtelier de Guyancourt, a déposé plainte contre M. X..., maître ouvrier chargé de réorganiser le travail en cuisine, du chef de harcèlement moral ; que cette plainte ayant fait l'objet d'un classement sans suite, l'intéressée s'est constituée partie civile devant le doyen des juges d'instruction ; que renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral, M. X... a été relaxé ; qu'appel a été interjeté de cette décision par la partie civile et le ministère public ;
Attendu que, pour confirmer le jugement de relaxe, l'arrêt énonce que, si M. X... se montrait autoritaire dans la mesure où il claquait des doigts et criait, ce comportement, certes inadapté en termes de management du personnel, ne caractérise pas suffisamment des faits harcèlement moral, ces propos, gestes et attitudes étant tenus à l'égard de tout le personnel dans le contexte particulier du travail en cuisine ; que les juges relèvent que le prévenu n'a pas affecté Mme A... à d'autres tâches que celles relevant de son poste et que les propos dénoncés par la partie civile ("comment on peut engager des bons à rien comme cela" et "si vous ne savez pas porter, vous n'avez qu'à pas prendre des métiers d'homme"), bien que désobligeants, n'apparaissent pas avoir été prononcés à plusieurs reprises à l'égard de celle-ci ; qu'ils ajoutent qu'elle-même n'admettait pas les remarques faites sur son travail et pouvait avoir une attitude inadaptée en réponse aux réflexions de son supérieur hiérarchique ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que les comportements qu'elle décrivait excédaient, quelle qu'ait été la manière de servir de la partie civile, les limites du pouvoir de direction du prévenu, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.
Ainsi, la Cour de cassation impose, comme elle l’a déjà fait dans le cadre de sa jurisprudence précédente, d’écarter le comportement de la victime dans l’appréciation du comportement du mis en cause : l’analyse du comportement de celui-ci doit être exclusivement fondé sur ses actes, ses propos et ses agissements, et non sur ce qui aurait pu les motiver, à savoir, les agissements de la plaignante elle-même.
De manière implicite, elle rappelle également que l’activité professionnelle exercée ne peut venir justifier un comportement jugé trop autoritaire : que l’auteur des faits allégués travaille en cuisine ou dans un bureau, la brutalité des propos tenus doivent s’apprécier avec le même degré.
Il faut comprendre de cet arrêt que si le dépassement des limites du pouvoir de direction s’apprécie sur la base d’éléments extrêmement factuels et concrets, il faut les analyser avec la plus grande objectivité possible : à cet égard, le contexte compte, mais pas le domaine d’activité, ni le comportement de la victime.
La question que la Cour d’appel aurait donc dû se poser est la suivante : les éléments factuels tels qu’elle les a elle-même constatés, et non contestés, constituent-t-ils, objectivement, un abus, par l’employeur, de son pouvoir de direction ? Selon la Cour de Cassation, la réponse est positive.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Giuseppe Porzani - Fotolia.com
Auteur
Joséphine DE SONNEVILLE
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