Un salarié peut-il utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer ou recevoir des mails personnels?
Publié le :
26/03/2013
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Aux termes d’un arrêt rendu le 29 janvier 2013, la Cour d’appel d’Orléans a répondu NON !
L'envoi de mails personnels depuis une messagerie professionnelle : une cause sérieuse de licenciementL’affaire soumise à la Cour d’appel d’Orléans est simple : un salarié a été licencié pour faute grave après avoir envoyé depuis sa messagerie professionnelle, sur son lieu de travail, sept courriels grivois à ses collègues et une dizaine d’autres au titre d’une société qu’il exploitait par ailleurs. Il lui a alors été reproché un « détournement de moyens professionnels à usage personnel » ainsi qu’une violation de la charte informatique applicable dans l’entreprise selon laquelle l'usage de la messagerie se faisait dans le cadre « exclusif » de l'activité professionnelle.
La Cour a considéré que ce salarié, qui avait utilisé la messagerie professionnelle à des fins personnelles, avait ainsi distrait une partie non négligeable de son temps à des fins extérieures à son activité, notamment pour sa société. Si la Cour a estimé que s'il ne s'agissait pas d'une faute grave, la poursuite du contrat pendant la durée limitée du préavis étant possible, elle a par contre considéré que ces faits constituaient une cause sérieuse de licenciement. Voici ce qu’énonce la Cour :Il a ainsi utilisé la messagerie professionnelle et, quoi qu'il en dise, a ainsi distrait une partie non négligeable de son temps (même si les messages pour sa société n'étaient pas très longs, il devait réfléchir à la réponse à faire) à des fins extérieures à son activité. S'il ne s'agit pas d'une faute grave, la poursuite du contrat pendant la durée limitée du préavis étant possible, c'est malgré toute une cause sérieuse de licenciement. Pour être précis, il convient tout de même de rappeler que l’entreprise avait une charte informatique selon laquelle l’usage de la messagerie devait se faire dans le cadre exclusif de l’activité professionnelle et que le règlement intérieur interdisait le travail personnel au sein des locaux de l’entreprise. La règle qu’il faut retenir de cette jurisprudence est claire : le fait pour un salarié de recevoir et envoyer des mails non professionnels constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement et ce pour ne pas avoir consacré tout son temps de travail à son activité professionnelle. L’utilisation de la messagerie professionnelle est donc un élément accessoire puisque cette jurisprudence aurait vocation à s’appliquer si les mails personnels avaient été reçus et envoyés, par exemple, de l’IPhone personnel du salarié. En effet et on l’aura compris, l’élément déterminant pour la Cour d’appel orléanaise n’est pas l’utilisation de la messagerie professionnelle mais le fait pour le salarié de l’employeur de ne pas avoir consacré tout son temps de travail à son activité professionnelle. Le spectre de cette jurisprudence est donc beaucoup plus large qu’il n’y paraît. La Cour semble ainsi sanctionner plus le temps déraisonnable passé à envoyer et à recevoir des messages personnels, ou à naviguer sur le net à titre privé, que la simple utilisation de la messagerie professionnelle. C’est maintenant cette notion d’utilisation « déraisonnable » de ces nouveaux outils de communication que la jurisprudence devra désormais affiner et définir avec plus de précision. N’oublions pas notre conception humaniste des rapports salarié/employeur dont est empreint notre Code du Travail. Aussi, sur le lieu de travail, un équilibre raisonnable entre la protection légitime des intérêts d’une entreprise et le respect de la vie privée, devra toujours être recherché. Rappelons que le respect de la vie privée est un droit fondamental qui assure la dignité, l'intégrité et la liberté de l'être humain. En raison de sa nature particulière, ce droit est strictement protégé et encadré. C’est d’ailleurs à ce titre que la jurisprudence a unanimement considéré le caractère privé du courrier électronique et mis en évidence, une certaine « immunité disciplinaire » qui pouvait en découler. Toutefois, l'« immunité disciplinaire » qui rend impossible le licenciement disciplinaire d'un salarié pour des agissements relevant de sa vie personnelle connaît certaines limites qui sont commandées par l'indispensable conciliation des intérêts de l'entreprise avec les droits et libertés de la personne. C'est par l'arrêt Léger en date du 20 novembre 1991 que la chambre sociale de la Cour de cassation a nettement posé le principe : « Si, en principe, il ne peut être procédé au licenciement d'un salarié pour une cause tirée de sa vie privée, il en est autrement lorsque le comportement de l'intéressé compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l'entreprise a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière » (Cass. soc., 20 nov. 1991, n° 89-44.605 : Juris-Data n° 1991-003219 ; Bull. civ. 1991, V, n° 512). Ainsi, la notion de trouble objectif permet de résoudre les conflits pouvant survenir entre l'autonomie du salarié dans sa vie personnelle et les intérêts légitimes de l'entreprise. En définitive, la règle est la suivante : un fait qui relève de la vie personnelle du salarié n'a pas à être pris en compte par l'employeur ; toutefois, l’employeur peut licencier son salarié si ce fait devait causer un trouble objectif à l'intérêt de l'entreprise. Mais en aucun cas ce licenciement ne peut être de nature disciplinaire (Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803 : Juris-Data n° 2007-038898 ; JCP S 2007, 1538, note A. Barège et B. Bossu. – V. égal., Ph. Waquet, Le « trouble objectif dans l'entreprise » : une notion à redéfinir, préc., p. 307 et s.). Il s’agit là incontestablement de la position adoptée par la Cour orléanaise qui a considéré que le licenciement décidé par l’employeur devait principalement sanctionner le fait pour le salarié de ne pas avoir consacré tout son temps de travail à son activité professionnelle. En effet, un temps excessif passé à envoyer et à recevoir des messages personnels est incontestablement du temps passé à ne pas fournir sa prestation de travail pour laquelle le salarié est rétribué. En conséquence, nous pouvons conclure que l’arrêt précité rendu le 29 janvier 2013 par la Cour d’Appel d’ORLEANS n’est pas novateur. Il s’inscrit dans une jurisprudence ancienne dont les contours sont déjà parfaitement tracés. Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
ANTOINE Alain
Avocat Associé
Alain ANTOINE
SAINT-PAUL (974)
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