L’opposabilité des clauses attributives de juridiction dans une chaîne de contrats
Publié le :
02/05/2013
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Les clauses de juridiction ne sont pas transmises avec la chose dans les chaînes de contrats translatives de propriété européennes.
Chaîne de contrats et clause attributive de compétenceDans un arrêt du 7 février 2013 (C-543/10, Refcomp Spa c. Axa) la Cour de justice de l’Union européenne a dit que « L’article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une clause attributive de juridiction convenue dans le contrat conclu entre le fabricant d’un bien et l’acquéreur de celui-ci ne peut pas être opposée au tiers sous-acquéreur qui, au terme d’une succession de contrats translatifs de propriété conclus entre des parties établies dans différents États membres, a acquis ce bien et veut engager une action en responsabilité à l’encontre du fabricant, sauf s’il est établi que ce tiers a donné son consentement effectif à l’égard de ladite clause dans les conditions énoncées à cet article. »
Cette décision n’est pas étonnante au regard du droit de l’Union européenne ; elle l’est davantage pour le juriste français dont la conception de l’accessoire a permis l’extension que l’on connaît de la nature « nécessairement contractuelle » de l’action dans les chaînes de contrats translatives de propriété. Ceci imprime naturellement un hiatus entre le droit commun et le droit européen, dont on peut se demander s’il est bien judicieux de le maintenir.
Dans l’affaire en cause, une clause attributive de compétence en faveur d’une juridiction italienne figurait dans le contrat de vente liant le fabricant, établi en Italie, et l’acquéreur initial des biens litigieux, aussi établi en Italie ; l’incompétence du juge français au regard de cette clause était soulevée par le fabricant à l’encontre d’un sous-acquéreur français et de son assureur, également français, qui avaient saisi la juridiction française. La question posée était donc celle de l’application de cette clause au litige opposant le sous-acquéreur français au fabricant italien.
Comme il est bien entendu, la Cour de justice applique la règle de l’interprétation autonome pour interpréter l’article 23 du Règlement qui veut que les concepts utilisés par les instruments communautaires sont interprétés sans renvoi au droit désigné par la règle de conflit, mais de façon autonome, au regard des besoins propres de l’Union pour en atteindre les objectifs (v. CJUE 10 mars 1992, Powell Duffryn C-214/89). Cela n’empêche certes pas que les juges consultent les divers droits européens pour déterminer l’interprétation à retenir d’un concept ; mais les juges ne sont pas liés par les interprétations nationales.
Or la question de la nature non contractuelle de l’action du sous-acquéreur à l’encontre du fabricant avait déjà été résolue, sous l’empire de la Convention de Bruxelles – et l’on sait que l’interprétation fournie par la CJCE au regard de ce texte vaut encore pour le Règlement, dès lors que les dispositions n’en sont pas substantiellement dissemblables (v. CJUE 25 octobre 2012, Foloen Fischer et Fofitec, C. 133/11). Dans le célèbre arrêt Jacob Handte (17 juin 1992, C-26/91), la Cour de justice avait dit, en interprétation de l’article 5-1 de la Convention de Bruxelles s’agissant également d’une action en responsabilité du sous-acquéreur contre le fabricant, que « la notion de matière contractuelle (…) ne saurait être comprise comme visant une situation dans laquelle il n’existe aucun engagement librement assumé d’une partie envers une autre » -cons. 15 (solution plusieurs fois reprises depuis, v. par ex. CJCE 17 septembre 2002, Tacconi, C-334/00 ; 5 février 2004, Frahuil, C-265/02 ; 20 janvier 2005, Engler C-27/02). Au regard de cette jurisprudence, la solution adoptée par l’arrêt commenté s’imposait donc déjà : il eut été troublant que la clause attributive de compétence puisse s’appliquer à l’action de l’acquéreur final alors qu’il était considéré que son action ne relevait pas du contrat dans lequel figurait ladite clause – hors de la sphère contractuelle.
La Cour de justice adopte cependant une analyse plus concrète de l’article 23 et recherche directement, indépendamment du lien contractuel, si le tiers au contrat peut être considéré comme ayant donné son consentement à la clause attributive de juridiction. L’arrêt Gravières Rhénanes du 20 février 1997, C-106/95) avait souligné que la validité d’une telle clause était subordonnée « à l’existence d’une convention entre les parties », la clause devant avoir « effectivement fait l’objet d’un consentement entre les parties » devant « se manifester de manière claire et précise (…) les formes exigées (ayant) pour fonction d’assurer que le consentement soit effectivement établi ».
Si un doute pouvait exister sur l’application en l’espèce de la clause attributive de compétence au regard de la jurisprudence de la Cour de justice, ce n’était qu’eu égard aux arrêts qui ont reconnu la clause applicable dans les relations entre le tiers porteur d’un connaissement dans lequel figure une telle clause et le transporteur (CJCE 19 juin 1984, Russ, 71/83 ; 16 mars 1999, Castelletti C-159/97 ; 9 novembre 2000, Coreck C-387/98) aux motifs que les usages commerciaux régissant le domaine du commerce international dans lequel les parties opèrent laissent présumer la connaissance de la clause. La Cour de justice vient cependant restreindre encore semble-t-il la portée de cette jurisprudence, en soulignant, dans l’arrêt commenté, que « la portée de cette jurisprudence doit cependant être appréciée en tenant compte du caractère très particulier du connaissement (…) C’est en considération de ce rapport de substitution entre le porteur du connaissement et le chargeur que la Cour a considéré que, par l’effet de l’acquisition du connaissement, le porteur se trouve lié par la prorogation de compétence. Inversement, lorsque le droit national applicable ne prévoit pas un tel rapport de substitution, la juridiction saisie doit vérifier la réalité du consentement de ce tiers à la clause attributive de juridiction.
C’est donc ce « rapport de substitution » - qu’on trouvera par exemple dans une subrogation personnelle, dans une cession de créance ou de contrat…, qui est déterminant.
Ce rapport n’existe pas lorsque l’acheteur final exerce une action contre le fabricant. C’est alors en vertu d’un droit propre qu’il exerce une action en responsabilité contre fabricant pour les défauts affectant la chose. La nature « nécessairement contractuelle » de cette action n’est en réalité vue comme telle qu’en droit français (ou dans les droits qui lui sont liés : Luxembourg et Belgique).
Et c’est bien là qu’est l’écueil qui révèle le caractère fictif de la transmission de l’action contractuelle comme accessoire de la chose. Qu’a donc de contractuel cette action ? Sur quel contrat est-elle fondée ? Quel est le lien de droit entre l’acquéreur final et le fabricant de la chose ? Dans le cas étudié, des compresseurs fabriqués par une Société italienne (Refcomp) avaient été achetés et installés dans des unités de climatisation par une autre société italienne (Climaveneta). C’est dans ce contrat que figurait la clause attributive de juridiction en faveur de la juridiction italienne : contrat donc, à l’origine, purement interne, auquel ne devait s’appliquer que le droit italien. Les unités de climatisation avaient par la suite été vendues à une société française (par un contrat dans lequel figurait une clause d’arbitrage) qui les avait elle-même revendus à une autre société française.
Autre contrat « purement interne », mais de droit français cette fois. C’est cette dernière société qui agissait, avec son assureur, contre la première société italienne d’une part, contre la seconde d’autre part. Sur cette seconde action, la Cour d’appel a reconnu son incompétence pour statuer sur sa propre compétence, aux motifs que « dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, peu important le caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne. » (v. en ce sens, Civ. 1re 27 mars 2007 Bull. civ. I n° 129 ; Civ. 1re 6 février 2001 Bull. Civ. I n° 22).
Sur la première action, la Cour de justice dit la clause juridictionnelle inapplicable. On mesure l’écart entre ces deux positions. Celui-ci devient plus inquiétant encore lorsqu’on s’interroge sur le droit qui sera appliqué par le juge français (compétent au regard de l’article 5-3 du Règlement de Bruxelles I) : la règle de conflit sera-t-elle contractuelle ou délictuelle ? La loi applicable italienne ou française ? Règles substantielles relatives à la responsabilité délictuelle (comme le voudrait le droit italien) ou contractuelle (comme le voudrait le droit français) ? On arrive ici à une situation paradoxale où le fabricant, qui ne peut opposer la clause de juridiction figurant dans son contrat, pourrait voir sa responsabilité contractuelle engagée au regard du droit français en tant que doit du délit applicable à l’action ainsi qualifiée par l’analyse combinée des règlements de Rome I et II. Mais ce paradoxe ne doit pas être imputé à la Cour de justice qui suit sur ce point un raisonnement très orthodoxe. Il n’est dû qu’au particularisme français qui qualifie l’action en responsabilité du sous-acquéreur contre le fabricant d’action de nature contractuelle, ce qui ne peut tenir dans le monde international qui ne reconnaît pas ce type d’action.
Cet article a été rédigé par Pauline REMY-CORLAY
Cet article n'engage que son auteur.
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