Représentation obligatoire : l’avocat ne peut se décharger de son mandat que du jour où il est remplacé
Publié le :
28/12/2023
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A l’heure où le contrôle de proportionnalité institué par la Cour européenne des droits de l’homme a déjà modifié bon nombre de règles de droit interne, certaines dispositions ne sauraient être remises en question. Tel est le cas de la règle instituée par l’article 419 du Code de procédure civile, réaffirmée par l’arrêt commenté du 23 novembre 2023. En matière de représentation obligatoire, l’avocat ne peut se décharger de son mandat que du jour où il est remplacé.Le 30 janvier 2020, un Conseiller de la mise en état près de la Cour d’appel de PARIS constate par ordonnance la caducité de la déclaration d’appel des époux J. représentés par Maître Z.
Le 27 février 2020, les époux J. forment alors une requête en déféré devant la Cour afin de contester la caducité de l’appel.
Devant la Cour, l’intimée, la SCI intimée, soulève l’irrecevabilité de la requête en déféré au motif qu’elle a été formée en dehors du délai de 15 jours à compter de la date de l’ordonnance (prévu par l’article 916 du Code de procédure civile).
Le 17 septembre 2021, la Cour d’appel de PARIS suit le raisonnement de la SCI et les époux appelants forment un pourvoi devant la Cour de cassation.
En effet, depuis le 20 novembre 2019, leur conseil, Maître Z., avait déclaré à la Cour ne plus représenter les époux J. De plus, le 9 décembre 2019, après la demande de signification de la déclaration d’appel fondée sur l’article 902 du Code de procédure civile, l’avocat a réitéré qu’il ne pouvait mettre en oeuvre cette mesure dès lors qu’il ne représentait plus les époux appelants.
Partant, les époux J. fondent leur argumentaire devant la Cour de cassation en trois temps.
Dans un premier temps, ils indiquent que, bien que leur conseil avait informé la Cour de la fin de son mandat, ils n’avaient pas été eux-mêmes, personnellement, informés de l’ordonnance de caducité.
De sorte qu’ils ne pouvaient pas déférer cette ordonnance devant la Cour dans le délai de 15 jours prévu. Selon eux, la décision de la Cour aurait ainsi violé le droit à un procès équitable (article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme).
Dans un second temps, les demandeurs arguent une violation de l’article 419 du Code de procédure civile en prétendant que leur conseil avait manifesté au préalable sa volonté de ne plus assurer leur représentation devant la Cour.
Enfin, dans un troisième temps, ils font état de leur atout majeur : le contrôle de proportionnalité.
Celui-ci permet en effet à une juridiction de rendre une décision contra legem du droit national, suivant la formule désarmais sacramentelle :
« Il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, la mise en oeuvre de cette disposition ne porte pas aux droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi, auquel cas il lui appartient de neutraliser l'application de la disposition litigieuse dans le litige particulier ».
En l’espèce, les demandeurs critiquent l’atteinte disproportionnée portée au droit au procès équitable, dès lors que le point de départ du délai pour déférer l’ordonnance de caducité devant la Cour débutait au jour du prononcé de l’ordonnance.
Suivant leur raisonnement, ce délai aurait dû avoir pour point de départ le jour où l’ordonnance était portée à leur connaissance, dans la mesure où leur conseil avait cessé de les représenter et où la Cour en avait été informée à plusieurs reprises.
Le 23 novembre 2023 (Cass. 2e civ., 23 nov. 2023 n°21-23.405), par un arrêt qui sera publié au Bulletin de la Cour de cassation, la Haute juridiction reste insensible à ces arguments.
Elle campe une application stricte de l’article 419 du Code de procédure civile, qu’elle cite dans son visa :
« Lorsque la représentation est obligatoire, l'avocat ne peut se décharger de son mandat de représentation que du jour où il est remplacé par un nouveau représentant constitué par la partie ou, à défaut, commis par le bâtonnier ou par le président de la chambre de discipline. »
De telle sorte que, le message par lequel l’avocat informe la Cour d’appel qu’il ne représente plus les appelants est dénué d’effet. Il continue de les représenter jusqu’à la constitution d’un nouvel avocat en ses lieux et place.
La Cour de cassation ajoute qu’il n’incombait pas au greffe de procéder à la notification aux parties de l’ordonnance de caducité.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante, respectueuse de la lettre de l’article 419 du Code de procédure civile, le texte n’incitant, de par sa clarté, à aucune interprétation.
La décision appelle toutefois plusieurs réflexions :
D’abord, du point de vue de la responsabilité civile, le devoir de conseil de l’avocat le rend responsable de l’écoulement du délai pour déférer l’ordonnance de caducité à la Cour d’appel.
En tant que professionnel du droit, il ne pouvait ignorer qu’en matière de représentation obligatoire, l’article 419 du Code de procédure civile ne l’autorise à se décharger de son mandat qu’uniquement à compter du jour où il est remplacé par un nouveau représentant, comme c’est le cas en l’espèce.
Cette règle s’impose à l’avocat et découle des règles déontologiques applicables à sa profession.
En indiquant que « ces règles sont claires et dénuées d’ambiguïté pour un professionnel du droit », la Cour de cassation le rappelle.
De jurisprudence constante, la Cour de cassation, comme les juridiction de fond citaient déjà dans leur visa l’article 419 in extenso, sans plus amples commentaires (par exemple : CA Paris, 15 sept. 2022, n°22/04062).
En l’espèce donc, l’avocat ne pouvait se décharger de son mandat via un simple message d’information à la juridiction et aux parties.
Il ne pouvait se prévaloir de la méconnaissance de cette règle en sa qualité de professionnel du droit.
Ensuite, en cas de manquement, l’assurance responsabilité civile professionnelle de l’avocat qui méconnaissant son devoir de conseil et de compétence (article 1.3 § 4 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat) permet d’indemniser ses clients lésés.
Nulle « injustice » donc pour les parties, qui pourront toujours être indemnisées en l’espèce.
C’est certainement unes des raisons pour lesquelles la Cour de cassation ne voit aucun problème à écarter le contrôle de proportionnalité en l’espèce.
En effet, la Haute cour ne saurait d’ailleurs admettre que le contrôle de proportionnalité permette d’infléchir la règle posée par l’article 419 du Code de procédure civile. Il ne saurait en résulter une « atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi dans le litige particulier », ceci pour deux raisons :
D’une part car, comme évoqué précédemment, les parties sont tenues pour responsables, par l’intermédiaire de leur avocat, des manquements aux règles de procédure.
Le Conseil d’Etat a d’ailleurs jugé dans un arrêt du 23 mars 2018 que l’obligation faite aux parties d’être représentée par un avocat « a pour objet tant d’assurer aux justiciables le concours d’un mandataire qualifié veillant à leurs intérêts que de contribuer à la bonne administration de la justice en faisant de ce mandataire l’interlocuteur de la juridiction comme des autres parties » (Conseil d’état, 23 mars 2018, n°406802).
Ainsi, dans les procédures les plus complexes, celles où la représentation est obligatoire, les avocats sont garants de la bonne administration de la justice par le truchement de leur devoir de conseil, de compétence et de leur responsabilité civile professionnelle.
D’autre part, parce que le contrôle de proportionnalité nuirait en l’espèce au principe de sécurité juridique.
En effet, si l’on admettait que l’avocat soit déchargé de ses fonctions par une simple information au magistrat et aux parties, dans cette affaire, le greffier ou le juge aurait dû notifier l’ordonnance de caducité à la partie non-représentée.
Puisqu’il est possible que le greffier ne notifie pas cette décision le jour même, voire qu’il ne la notifie pas du tout, deux délais distincts pourraient courir, suivant que les parties soient ou non représentées.
Il en résulterait à la fois une atteinte à l’harmonie des règles du Code de procédure civile mais également une atteinte à l’égalité des armes entre les parties. Le tout alors que la procédure serait faussement estampillée « avec représentation obligatoire ».
C’est la raison pour laquelle le contrôle de proportionnalité ne saurait être accueilli juridiquement en l’espèce.
En conclusion, la Cour de cassation ne répond pas directement aux arguments des demandeurs sur le contrôle de proportionnalité. On comprend toutefois que cette règle suivant laquelle l’avocat ne saurait se décharger de son mandat que du jour où il est remplacé ne devrait pas être mise à mal par le contrôle de proportionnalité.
Cet article n'engage que son auteur.
Auteur
Mathias De Bortoli
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